1790 : le premier maire élu à l’église du Haut-Buzet

Colonnes marquant l'entrée de l'ancien bourg castral

Avant la révolution française, les habitants des communes actuelles de Buzet et Saint-Pierre-de-Buzet se réunissaient chaque année dans l’église Notre-Dame du Haut-Buzet pour élire des jurats, qui à leur tour soumettaient au seigneur le nom de deux consuls. Cette assemblée de notables gérait les affaires communes depuis l’hôtel de ville, à l’emplacement où de nos jours se dressent les quatre colonnes commémorant cet édifice détruit.

La Révolution Française mit fin à cet ordre séculaire, sans toutefois tout bouleverser. Lorsque les anciennes administrations locales furent dissoutes et qu’il fallut partout élire des maires et tracer des communes nouvelles, c’est encore à l’église Notre-Dame du Haut-Buzet, au son de la cloche, que se réunirent les habitants des environs. Le 15 février 1790, les débats furent houleux, et virent le départ des habitants de la paroisse Saint-Pierre, qui formeraient désormais une nouvelle commune. Le lendemain, 16 février, c’est toujours dans l’église que 179 citoyens mâles (les femmes n’avaient pas encore le droit de vote) élurent le premier maire de Buzet : Louis Troupel de Larrive, avocat au Parlement. Il fallut cependant attendre d’autres élections, le 28 février 1790 pour l’entrée en fonction du maire et des conseillers municipaux. Moment important dans l’appropriation du pouvoir par le peuple que prônaient les idéaux révolutionnaires, cette inauguration du conseil municipal devait être un moment particulièrement solennel et mis en scène. Hélas, elle fut quelque peu ratée.

Le procès-verbal des délibérations de la commune nous raconte en effet que ce jour-là, à six heures et quart, 170 habitants partirent en cortège de la chapelle Notre-Dame de Lagravère et gravirent la côte menant au Haut-Buzet, afin de se rendre à l’Hôtel de Ville pour y prêter « sermant solannel de maintenir la constitution de tout leur pouvoir, d’être fidelle à la Nation, à la loi et au Roy ».  Hélas pour eux, en ce jour historique, où le premier maire de Buzet allait tenir séance, le bâtiment était malencontreusement fermé à clef…

La cérémonie tourna alors au vaudeville. En toute urgence, on convoqua le valet de ville Floraur, mais celui-ci n’avait pas les clés. Il suggéra d’aller chercher Gayet, représentant du seigneur. En effet, le bâtiment de l’Hôtel de Ville n’appartenait pas à la commune, mais était seulement prêté par le seigneur de Buzet, Agésilas Joseph de Grossolles. Hélas, à son tour, ledit Gayet expliqua ne plus avoir les clés de la bâtisse, qu’il avait confiées aux officiers de justice de Buzet. Les esprits s’échauffaient, car on soupçonnait Gayet de simplement refuser d’ouvrir pour la cérémonie, mais on décida finalement que le serment de prise de fonction du premier maire de Buzet aurait lieu dans l’église Notre-Dame, à deux pas de l’hôtel de ville. C’est donc dans ce cadre fort peu laïc (mais la séparation de l’église et de l’Etat n’existait pas encore) que le conseil municipal prêta serment.

Naturellement portés par leur dévotion catholique et le lieu de la cérémonie, les habitants demandèrent au curé Saint-Germe de bénir ce premier conseil municipal. Celui-ci, viscéralement opposé à la révolution, refusa net. Il serait quelques mois plus tard démis de ses fonctions, après avoir répandu partout dans la commune l’idée que « il alloit y avoir banqueroute, des grelles, des guerres civiles, des pestes, et des famines », punitions divines contre une révolution impie (entrée du 31 juillet 1791). Au contraire, « le sieur abé Dutau, son vicaire, faisant suivant son usage et ces sentiments preuve d’un vré patriotisme, ceroit venu dans la present eglize chanter le Te Deum en action de grâce au désir de la commune ». On était encore bien loin du temps où ces mêmes révolutionnaires transformeraient l’église désaffectée en temple de la raison !

Nota : Les approximations orthographiques des citations sont celles du registre de délibérations de la commune, conservé aux Archives Départementales de Lot-et-Garonne, E dépôt Buzet 1D1, d’où nous tirons toutes ces anecdotes.

Pierre Courroux

Université de Pau et des Pays de l’Adour