1793 : Quand le château de Buzet échappa de peu à la destruction

La Révolution française s’est dans l’ensemble passée de manière assez paisible à Buzet-sur-Baïse. Le village eut bien quelques mouvements de foule, empoignades et menaces, mais aucun épisode vraiment dramatique ne vint marquer les mémoires durablement. Il faut dire que le seigneur de Buzet, Agésilas-Joseph de Grossolles, faisait partie de la frange de la noblesse acquise aux idéaux révolutionnaires. En 1790, il dirigea la garde nationale de Buzet, et mena l’année suivante les cérémonies patriotiques pour la fête de la Fédération. À partir de fin 1791, Agésilas-Joseph se retira à Toulouse, où il passa sans faire de vagues toute la Révolution.

Mais à l’automne 1793, alors que le sentiment républicain était à son apogée en Lot-et-Garonne, bastion montagnard dans un Sud-Ouest où fédéralistes et monarchistes se rebellaient, le château de Buzet faillit être détruit, à l’image de ce qui arriva au château de Nérac, non loin de là. Depuis février 1793, le district de Casteljaloux, dont dépendait Buzet-sur-Baïse, avait enjoint les autorités locales à détruire les marques de la féodalité. On décida que les châteaux-forts étaient les principaux témoins de l’ancien ordre seigneurial, et qu’il fallait les détruire. Hélas, il était bien difficile de définir exactement ce qu’était un château-fort… Une définition trop large risquait de détruire tous les manoirs, maisons et fermes fortifiées occupées par d’honnêtes citoyens. Le département du Lot-et-Garonne finit par décider, dans un arrêté du 23 Vendémiaire an II (14 octobre 1793), que : « les châteaux forts flanqués des bastions, entourés de redoutes et fossés, seront démontés de fond en comble, à la réserve des corps de logis. Les tours, tourelles et pavillons des châteaux non fortifiés seront démolis par leurs propriétaires jusqu’au niveau des combles des corps de logis. »

Le citoyen Vigneau, procureur de la commune de Buzet, expliqua au district que le vieux château, avait « une tour élevée d’une hauteur extraordinaire au-dessus du corps de logis », mais couronnée d’un paratonnerre, et que les habitants ne souhaitaient pas la détruire pour cela. Cette tour existe encore aujourd’hui, isolée dans le parc du château. Le cas du château principal, dans lequel vivaient les seigneurs, était plus épineux. On notait que la tour octogonale dans lequel se trouvait l’escalier, dépassait de peu le logis, mais n’était pas fortifiée. En revanche, quid des « deux grosses tours rondes attenantes » ? Vigneau n’arrivait pas à savoir si ces tours dépassaient ou non les murs : fallait-il ou non compter la hauteur des murs, ou bien celle du sommet du toit, qui ayant une forme en pavillon, dépassait la hauteur du logis ? Étaient-elles ou non fortifiées ? Leurs murs étaient épais, mais elles ne servaient plus depuis longtemps que de chambres d’agrément. Les habitants de Buzet demandèrent donc au district d’envoyer un ingénieur pour décider si les tours dépassaient ou non le corps de logis, et pour décider si elles étaient ou non fortifiées.

Mais l’administration avait d’autres priorités en cette époque de guerre civile et extérieure, et l’ingénieur ne vint jamais, ce qui permit aux tours de ne pas être détruites ! L’orientation plus conservatrice prise par la Révolution après 1794 fit que le sire de Buzet put continuer de jouir de son château resté intact. Une légende locale voulait que lors de la révolution, les Buzéquais aient détruit le toit pointu en ardoise d’une tour du château, et l’aient troqué contre un toit plat en tuile. On a longtemps pensé que c’était là un signe d’égalitarisme révolutionnaire. Si cette histoire est vraie, ce qu’aucun document ne peut infirmer ou confirmer, ne serait-ce pas plutôt une tentative des habitants pour sauver le château d’une destruction imminente ?

Pierre Courroux

Université de Pau et des Pays de l’Adour