Interview de l’historien Pierre COURROUX

Pierre Courroux en train de faire visiter les élèves de l'école de Buzet lors des journées du patrimoine

Pierre lors d’une visite du parc du château de Buzet lors des journées du patrimoine, avec les élèves de l’école de Buzet.

 

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis docteur en histoire médiévale et agrégé d’histoire, enseignant chercheur contractuel à l’Université de Pau, j’ai 33 ans et je vis à Pau. Je suis spécialiste de l’écriture de l’histoire au Moyen Âge et des sires d’Albret à la fin du Moyen Âge. C’est surtout à ce dernier titre que j’interviens pour le château de Buzet.

Quel-est ton parcours ?

J’ai fait mes études d’histoire à l’Université de Poitiers, dans l’idée de me spécialiser sur l’histoire romaine. J’y ai aussi passé et obtenu l’agrégation d’histoire en 2010. Finalement, après un séjour Erasmus en Suède, je me suis mis à travailler sur les historiens de la fin du Moyen Âge, auxquels j’ai consacré ma thèse en 2013. Après la thèse, j’ai été attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’Université d’Amiens (2014-2017), professeur d’histoire-géographie en lycée à Compiègne le temps d’un trimestre, puis j’ai eu une bourse de la British Academy qui m’a fait passer deux ans à l’Université de Southampton (2017-2019). Je suis revenu en France car j’ai été recruté pour concrétiser le partenariat entre les vignerons de Buzet et l’Université de Pau.

Peux-tu expliquer ta mission pour les Vignerons de Buzet ?

Je suis chargé de l’étude historique du château de Buzet, de son parc et de ses vignes. Les résultats de mes recherches permettent non seulement d’éclairer le passé, mais aussi d’envisager une mise en valeur de ce patrimoine (ouverture au public, obtention de financements ou de classements) et une transmission de connaissances depuis longtemps oubliées. Elles concernent bien sûr le château lui-même, mais plus largement les Buzéquais et même l’Albret, notamment dans le cadre du LIT (Laboratoire d’Innovation Territoriale), qui doit mettre en relation différents acteurs du territoire.

Comment as-tu obtenu ce poste ?

Véronique Lamazou-Duplan, qui est maître de conférences à l’Université de Pau, m’a contacté pour savoir si j’étais intéressé par ce projet. Mon profil correspondait à ce qui était demandé, car j’ai beaucoup travaillé sur l’Albret au Moyen Âge, et que je pouvais lire les documents anciens, en latin comme en gascon.

Connaissais-tu déjà le lieu, ou la région ?

Oui et non. Mes origines familiales sont autour de l’Adour et j’ai grandi et fait mes études en Deux-Sèvres, je n’avais donc pendant longtemps aucun lien particulier avec le Lot-et-Garonne. Mais en 2014, j’ai commencé à travailler sur les Albret un peu par hasard, et je me suis vite attaché à cette famille et à la région sur laquelle elle régnait. J’avais donc déjà plusieurs fois fait le tour en voiture de l’Albret, de ses villages, châteaux et églises, ces dernières années.

Est-ce que tu travailles seul sur cette mission ?

Oui et non (encore !). Mon travail s’inscrit dans un réseau de chercheurs, en histoire d’abord (Laurent Jalabert et Stéphane Le Bras, avec qui j’ai co-écrit le livre sur l’histoire de la coopérative de Buzet, paru en 2020), mais aussi en sociologie (Milo Villain, qui a été recruté à peu près en même temps que moi pour couvrir la partie sociologique de la transition vers de nouveaux modes d’exploitation). Cependant, le travail fondamental de recherche, celui où je dépouille, trie et exploite les archives, est un travail solitaire : ce n’est que dans un second temps qu’on peut croiser des résultats avec d’autres chercheurs, ou bien que je soumets mes résultats aux Vignerons de Buzet.

Quelle démarche as-tu mise en place pour réaliser ce travail de recherche ?

Je me rends tout d’abord dans les divers fonds d’archives pour rassembler le plus possible d’informations sur tous les sujets qui touchent le château. Après, j’élabore des notes de synthèse que je transmets aux vignerons de Buzet. Celles-ci sont sur les sujets les plus importants pour eux : l’histoire des éléments du parc, celle du château, celle du vin du château de Buzet (que j’ai aussi cartographié pour l’obtention d’une appellation) … Outre cela, je réfléchis aussi à la visite historique du château (que j’ai assuré lors des journées du patrimoine), et à divers éléments de communication et transmission de tout ce savoir afin que les notes savantes puissent profiter au grand public. Pour résumer, donc 1/ Recherches dans les archives 2/ élaboration de notes selon des critères scientifiques 3/ Travail de vulgarisation

Y a-t-il beaucoup d’archives sur Buzet et as-tu accès facilement aux informations ?

Le Lot-et-Garonne est un département assez pauvre en archives anciennes : principalement à cause des guerres de religion, de la Fronde, et d’archivistes du XIXe siècle qui ont vendu des liasses d’archives pour la papeterie par manque de place. Cependant, le château de Buzet est assez extraordinaire à ce sujet car il a appartenu jusqu’au milieu du XXe siècle à des familles qui ont gardé leurs archives privées, ce qui les a fait échapper aux destructions. On les trouve aujourd’hui à Paris et à Tulle, et c’est une véritable mine d’informations pour un château de la région ! Il faut bien sûr du temps pour s’y retrouver dans la quantité de documents, pas toujours bien inventoriés, mais on trouve beaucoup de choses !

Buzet n’est pas ton seul sujet d’étude, est-ce que tu travailles sur d’autres projets en parallèle ?

Beaucoup (trop) de choses ! Pour faire simple, je continue de travailler sur mon sujet de thèse, c’est-à-dire l’écriture de l’histoire au Moyen Âge : je termine actuellement l’édition d’une chronique médiévale et aussi d’un répertoire des motifs des récits de bataille. Côté Albret, je continue de travailler sur plein de choses, notamment la structuration d’un Pays d’Art et d’Histoire à Nérac, et j’aimerais beaucoup un jour publier une somme sur l’histoire de cette famille à la fin du Moyen Âge (mais ce n’est pas pour tout de suite).

Quel est ton endroit/anecdote préféré du site ?

J’aime la fin de la montée de la côte, quand on voit les ruines du village du Haut-Buzet et que soudain, au détour d’un virage, le château apparaît dans toute sa hauteur. Pour ceux qui ne l’ont encore jamais vu, c’est toujours quelque chose. Pour l’anecdote, ma favorite est celle du château de Buzet sauvé par les lenteurs de l’administration révolutionnaire, qui mit bien trop de mois pour décider si les tours étaient plus hautes ou non que le corps de logis ; ne sachant pas bien s’il fallait prendre en compte la base ou la pointe du toit.

Quel avenir espères-tu pour ce château ?

J’aimerais que les futurs Buzéquais et les autres habitants de la région considèrent pleinement le château comme leur patrimoine, qu’ils se transmettent des histoires à son sujet (même fausses, au fond les légendes participent à l’appropriation d’un site !). Bref, que la renaissance du château donne de la fierté à cette région si souvent rabaissée à un pays ‘d’entre deux’ (entre Bordeaux et Toulouse), que le site vive dans leurs mémoires et ne redevienne jamais la coquille vide qu’il a été au milieu du XXe siècle, lorsqu’il a failli disparaître.