Bernard de Rovignan, sire de Buzet et bandit de grand chemin, à l’origine d’une guerre franco-anglaise

 

une photographie du chapiteau : le seigneur et son blason

Chapiteau : le seigneur et son blason

A la fin du XIIIe siècle, l’Agenais était une zone frontière disputée entre le roi de France, qui possédait Toulouse, et celui d’Angleterre, duc d’Aquitaine dont les représentants étaient installés à Bordeaux. La province fut officiellement cédée aux Anglais par le traité de Paris (1259) mais resta occupée par les Français jusqu’en 1279, date à laquelle le roi de France céda de mauvais gré le contrôle de la région aux Anglais. L’un des coseigneurs de Buzet, Bernard de Rovignan – qui était également seigneur de Galapian et de Castelculier –, profita de cette situation particulière pour agir en véritable bandit de grand chemin, terrorisant la région pour s’enrichir. Il pouvait s’appuyer sur un vaste réseau familial, puisque d’autres Rovignan dominaient Moncaut, Hauterive, Castelculier, et avaient des coseigneuries à Casseneuil, Astaffort et Tonneins.

 

 

Bernard avait pourtant bien commencé sa « carrière » de seigneur : en 1273, il avait concédé aux habitants de Buzet leurs premières coutumes, organisant la vie locale selon des règles écrites. Hélas, il se montra par la suite moins attentif aux lois et à leur respect. Visiblement peu troublé à la perspective de brûler en enfer pour ses péchés, il s’attaqua en priorité aux biens de l’église, vulnérables mais profitables. Il dut certainement commettre tôt de premiers coups de main que nous ignorons, car le sénéchal d’Agenais pour le roi d’Angleterre le força à jurer qu’il ne nuirait pas au chapelain d’Ambrus. Ce fut peine perdue, puisque Bernard de Rovignan ne tint pas parole et commit plusieurs méfaits à son encontre. Il fut cité à comparaitre par la justice du roi d’Angleterre, mais cela ne l’arrêta pas plus.

Au contraire, peu avant 1288, il s’attaqua directement au prieuré de Buzet, établissement monastique dépendant de l’abbaye de Saint-Sever. Le prieur possédait une large part de la seigneurie de Buzet et Bernard devait jalouser ses richesses. Les conflits entre moines et seigneurs laïcs étaient courants, mais ceux-ci avaient en général pour objet des questions d’usurpation de droit, et se soldaient par un compromis. Bernard de Rovignan était cependant un homme que la guerre continue dans la région avait rendu violent. Avec ses soldats, il captura le prieur dans sa chambre et le traîna jusqu’à la chapelle de Buzet, où le prieur, déjà en piteux état, fut tué. Après la mort de l’homme d’église, Bernard de Rovignan s’empara de ses biens et les dilapida selon son bon plaisir. Un procès l’opposa immédiatement aux moines de Saint-Sever, et le coseigneur de Buzet fut condamné à verser une lourde amende, dont il s’acquitta de mauvaise grâce en 1289. En échange de celle-ci, le roi d’Angleterre lui pardonna tous ses méfaits. Il dut probablement lui conseiller de s’attaquer à l’avenir aux partisans du roi de France plutôt qu’à ses sujets.

Il fallut peu de temps à Bernard de Rovignan pour appliquer ses nouveaux principes. En 1292-1293, des rixes entre marins gascons et Normands causa de fortes tensions entre rois de France et d’Angleterre. Le roi de France cita son rival en justice, et confisqua préventivement les places fortes de l’Agenais. Mais Bernard de Rovignan ne l’entendit pas ainsi : se jugeant sans doute spolié de ses biens, au début de l’hiver 1293-94, il envoya son frère Aymeri à la tête d’une bande pour piller les environs d’Agen. Celui-ci incendia l’église de Saint-Pierre de Gaubert, pilla celle de Saint-Pierre de Clairac, attaqua et incendia plusieurs maisons isolées, pilla et assassina nombre de gens. La troupe se rendit à Castelculier, seigneurie de Bernard de Rovignan, et elle y pendit deux des soldats du roi de France chargés de garder la place. Enfin, c’est peut-être Bernard de Rovignan lui-même (mais on ne peut en être certain) qui attaqua s’empara du château de Buzet, lui aussi récemment investi par les soldats français. A en croire la chancellerie du roi de France, même si le château était sa coseigneurie, cela n’empêcha pas les assaillants de le dévaster, le démolir et le brûler.

Suite à toutes ces provocations, le roi de France convoqua de nouveau le roi d’Angleterre, qui refusa de se présenter, et la guerre éclata pour de bon. Elle devait durer 4 ans (1294-1297), et être le dernier grand conflit généralisé dans la région avant la guerre de Cent Ans. Durant cette guerre, Bernard de Rovignan resta fidèle serviteur du roi d’Angleterre. Mais plus pillard que chaud défenseur de la couronne anglaise, il pilla aussi bien anglais que français. Il fut un cauchemar pour les habitants d’Agen, qui intentèrent plusieurs procès à son encontre pour « les nombreuses injures, dommages, violences et vexations » qu’il leur faisait subir depuis des années. Hélas pour eux, Bernard avait la protection du souverain anglais, qui avait besoin de ses hommes et de son expérience militaire, même une fois la guerre finie. Cela signifiait qu’il était hors de portée de la justice du roi de France, et que même les sujets du roi d’Angleterre ne pouvaient obtenir justice. Les habitants de Nicole l’apprirent à leurs dépens. Vers 1305, ils se plaignirent des nombreux pillages causés dans leur juridiction par Bernard de Rovignan et son frère Aymeri, mais ceux-ci obtinrent gain de cause, leurs excès étant pardonnés par le roi d’Angleterre au vu de leurs services pendant la guerre passée. Jusqu’à la fin de sa vie, Bernard de Rovignan, seigneur de Buzet, put donc continuer à piller les environs. Il se servit sans doute de l’argent accumulé pour reconstruire le château de Buzet qu’il avait lui-même ravagé.

Pierre COURROUX