Des prisonniers allemands au château de Buzet pendant la première guerre mondiale

Après les années fastes d’Alfred de Noailles dans la seconde moitié du XIXe siècle, le château de Buzet fut peu à peu abandonné au début du siècle suivant. Marie de Beaumont fut la dernière châtelaine à résider en permanence au château. Ses enfants vivaient loin de là, que ce soit à Paris, au château de Saint-Aubin dans le Maine ou encore au Japon. Lorsqu’elle décéda en 1915, nul ne prit sa place à Buzet. L’exploitation viticole, durement frappée par le black-rot, un champignon nuisible, était largement déficitaire, et ses héritiers décidèrent presque immédiatement de se séparer du château pour faire des économies. Ils mirent quinze ans à trouver un repreneur. Durant ce temps, le château fut dirigé par un régisseur des domaines, chargé de l’exploitation agricole des terres.

Le château de Buzet en 1949

Photographie noir et blanc du château de Buzet par Ray DELVETER en 1949, Archives Départementale de Lot-et-Garonne

Clavet, le régisseur qui s’occupait du domaine pendant la première guerre mondiale, n’eut pas la tâche facile. En plus des diverses maladies qui touchaient la vigne, il dut faire face à une pénurie sans précédent de main d’œuvre, presque tous les hommes valides étant mobilisés au front. C’est pourquoi il sollicita les autorités militaires pour obtenir que des prisonniers de guerre allemands vinssent travailler dans les terres du château de Buzet. La France, qui avait signé les conventions internationales de La Haye en 1899, devait suivre un protocole bien précis pour les prisonniers de guerre allemands, qui n’étaient pas enfermés mais simplement assignés à résidence avec la promesse de ne pas s’évader pour rejoindre leur pays. Les prisonniers, très nombreux furent répartis dans une cinquantaine de camps loin des combats, dont celui d’Agen, en Lot-et-Garonne. Le nombre des prisonniers (près de 100 000 au total en France en 1916) combiné au manque de main d’œuvre fit que dès 1915, on les mit au travail, principalement dans l’agriculture, à la demande des élus locaux.

C’est ainsi que le château de Buzet se retrouva avec une main d’œuvre principalement allemande. Elle avait l’intérêt d’être peu chère et de ne pas pouvoir refuser le travail. Les papiers de la régie du château détaillent quelques travaux agricoles effectués à cette époque : en janvier 1918, les prisonniers « ramassent le chiendent devant les charrues » et font des travaux d’aménagement dans les vignes de Montplaisir. Si la plupart des prisonniers de guerre partaient simplement à la journée pour faire leur travail et rentraient le soir dans les casernements où ils étaient logés, ceux qui furent employés à Buzet séjournaient sur place. Il était encore trop long de faire quotidiennement l’aller-retour depuis Agen. Leurs conditions de vie étaient assez rudes : non qu’on cherche particulièrement à se venger des ennemis, puisque des conventions assez strictes obligeaient les employeurs à loger et nourrir décemment les prisonniers. Mais la pénurie de divers matériaux touchait toute la France. On apprend ainsi qu’à défaut d’avoir du pétrole, les prisonniers s’éclairaient à la bougie.

Le régisseur de Buzet n’avait ni les moyens, ni la charge légale de la surveillance des prisonniers, qui incombait à l’armée. Mais celle-ci avait d’autres soucis qu’envoyer des hommes à Buzet, aussi y eut-il parfois des évasions. Le 8 janvier 1918, un dénommé Tiebig, surnommé l’idiot, s’éclipsa plus tôt que prévu du repas du soir pris en commun entre tous les ouvriers et le régisseur. Il prétexta avoir un roman à finir, mais en profita pour s’évader. Les prisonniers Allemands ne retrouvèrent leur pays qu’en 1919, après la signature du traité de Versailles.

Pierre COURROUX