François-Gaston de Grossolles (1640-1706), sire de Buzet et duelliste incorrigible

Le XVIIe siècle fut un temps troublé pour la noblesse de Gascogne, et plus particulièrement les seigneurs de Buzet. Les féodaux du Sud-Ouest se montraient rebelles à un pouvoir royal de plus en plus autoritaire, jaloux de leurs traditions guerrières, qui s’exprimaient notamment dans le duel, pourtant interdit par la monarchie. Ces petits seigneurs gascons querelleurs, Dumas les a immortalisés en la personne du mousquetaire d’Artagnan. Mais le château de Buzet a connu ses propres d’Artagnan.

Jean V de Grossolles (1605-1643) encourut le premier la disgrâce du roi après avoir tué en duel le sieur de Lussan. A cause de cette affaire, il faillit perdre l’héritage de Buzet, qu’il tenait de sa cousine. Son fils, Antoine Agésilan (1643-1652) rejoignit le rang des princes frondeurs et mourut les armes à la main lors de la bataille du faubourg Saint-Antoine, livrée contre les troupes du roi. Il laissait derrière lui une veuve et des enfants mineurs. Mais loin de retenir la leçon, son fils aîné, François-Gaston de Grossolles, se montra le plus turbulent de tous les seigneurs de Buzet.

 

Le duel à l’épée. Estampe de Jacques Callot (1621-1622)

 

Il vivait alors principalement à Paris, laissant le château de Buzet à son frère cadet Jean. En janvier 1662, après une brouille pour une sombre histoire de préséance lors d’une fête, il participa à un duel collectif opposant 4 combattants de chaque côté. Louis XIV, qui avait eu vent du duel programmé, l’avait interdit sous peine de mort, mais le duel eut tout de même lieu. Le sire de Buzet fut blessé lors du combat et son ami le marquis d’Antin trouva la mort. A tout point de vue, ce combat fut donc un échec terrible, d’autant que tous les participants furent poursuivis par la justice royale. Loin de faire profil bas, François-Gaston se battit peu après en duel avec le marquis de Mossac, pourtant son ami, et le blessa, ceci à cause d’une histoire de cœur. Il fut encore envoyé par le Marquis de Termes pour organiser un duel contre le duc d’Elbeuf : c’en était trop pour le roi, qui apprenant cela, ordonna l’incarcération de François-Gaston, qui entra à la Bastille le 11 avril 1663. Sortant de la Bastille un an plus tard, il fut condamné à l’exil, et s’exila en Hongrie, pour y combattre les Ottomans. Quelques années plus tard, c’est en Angleterre qu’on le retrouve : bon danseur, il y introduisit le Menuet à la cour du roi Charles II. Dans ses mémoires, le comte de Gramont vante « son air et sa taille » et sa réputation de « gladiateur » qui provoquaient l’admiration des femmes. Il eut des aventures avec plusieurs ladies de la bonne société anglaise, mais rêvait de retourner sur ses terres en France. Malgré l’appui du roi d’Angleterre, Louis XIV refusa de le pardonner.

C’est pourquoi il tenta un coup de poker. En 1683, affirmant qu’après 20 ans d’exil, il y avait prescription pour son histoire de duel, il rentra à Buzet. Mais son tempérament bouillant ne jouait pas en sa faveur. Moins d’un mois après être rentré, il eut une altercation avec des troupes royales qui passaient à Buzet, et il fut immédiatement incarcéré au château Trompette de Bordeaux. Un diplomate anglais explique dans une missive que « toute sa famille est dans une très grande consternation, car on craint, et avec raison, qu’on ne le fasse mourir, son procès étant fait et le roi ayant refusé plusieurs fois sa grâce. » On s’orientait donc vers sa condamnation à mort pour l’affaire du duel que le roi voyait comme un crime de lèse-majesté, lui reprochant aussi son service des rois étrangers opposés à la France pendant son exil, mais il réussit à s’en enfuir avec la complicité de l’officier chargé de sa garde, qui s’enfuit avec lui. Il se réfugia une nouvelle fois en Angleterre, où on le trouve proche du chambellan du roi en 1684. Quelques années plus tard, après avoir donné à son frère tous ses droits sur Buzet, il se rendit en Espagne, où se trouvait aussi Talleyrand-Chalais, un autre condamné du duel. Le roi Charles II d’Espagne fit de lui son chambellan et lui donna 2000 écus de pension. C’est dans ce pays, à Burgos, qu’il mourut de maladie en 1706, sans avoir été marié et sans postérité. Signe de l’estime qu’elle avait pour lui, la reine d’Espagne se chargea de ses funérailles. Ainsi se termina la vie rocambolesque de François-Gaston de Grossolles, sire de Buzet et duelliste incorrigible, qui inspira par ses frasques une des grandes poétesses de son époque, la Marquise de La Suze, qui lui dédia certaines élégies.

Pierre COURROUX