Les nombreux occupants du château de Buzet pendant la seconde guerre mondiale

Depuis la mort de Marie de Beaumont, en 1915, le château de Buzet n’était plus habité. Les derniers Noailles comme les Kröss (qui le rachetèrent en 1931) ne s’en servaient qu’à l’occasion comme d’un lieu de réception de prestige. Lorsque la seconde guerre mondiale éclata en 1939, le bâtiment était en piteux état : ses propriétaires ne pouvaient ou ne voulaient plus en assumer les faramineux coûts d’entretien. Il n’était cependant pas encore assez ruiné pour ne plus pouvoir servir.

Voilà pourquoi quelques jours à peine après la déclaration de guerre, dès septembre 1939, l’Etat le réquisitionna en vue d’héberger les populations d’Alsace, et plus particulièrement les résidents de l’asile de Bischwiller. Un état des lieux fut dressé dès le 16 septembre, en présence du maire de Buzet et de M. Kröss. On y voit que si les étages inférieurs étaient encore en bon état, le second étage du corps principal et les étages des ailes du château étaient déjà dans un état de ruine avancée : on y mentionne les plafonds dégradés ou lézardés, les tapisseries arrachées, les murs ou parquets en mauvais état, les carreaux manquants aux fenêtres et la toiture qui n’était plus imperméable.

 

Vue aérienne du château en 1949 (AD Lot-et-Garonne, 1769W 485)

 

Aux pensionnaires de Bischwiller succédèrent un groupe de travailleurs étrangers en mars 1941, puis d’autres déplacés envoyés par le service des réfugiés jusqu’au 30 avril 1942, date à laquelle un arrêté préfectoral mit fin à la réquisition du château. On fit un second état des lieux le 6 juin 1942. Loin de s’être amélioré, l’état du château avait rapidement empiré avec ces nombreux habitants, démunis des moyens d’entretenir la bâtisse. Il n’y avait plus désormais une seule pièce intacte, les parquets étaient inondés à cause des intempéries, et on déplorait aussi de nombreux graffitis sur les murs, qu’on attribuait aux travailleurs étrangers. Seule amélioration notable, l’eau courante, les lavabos et WC qui avaient été réalisés pour accueillir l’asile de Bischwiller.

Les Kröss furent indemnisés, et ils continuèrent d’accueillir des populations déplacées au château jusqu’à la fin de la guerre. A l’été 1943, le château fut réquisitionné pour accueillir les enfants d’une colonie de vacances des usines Peugeot de Mérignac. Hans Kröss voyait d’un mauvais œil ces enfants, et il se plaignit au service des réfugiés qu’ils l’empêchaient d’exploiter le verger et le bois du parc. Pourtant, loin de causer des dégâts, les occupants installèrent l’électricité dans le château, réparèrent les vitres et remirent en état le bélier hydraulique qui assurait l’alimentation en eau. Des travaux coûtant plus de 238 000 francs, mais effectués gratuitement !

La tradition d’accueillir chaque été une colonie de vacances se poursuivit même après la mise sous séquestre du château à la libération, puisqu’avec l’accord du maire René Dupouy, chaque année de 1945 à 1949, de juillet à fin septembre, la Société des Emballages du Sud-Ouest, à Aiguillon, occupa le château pour sa propre colonie de vacances. Dans la lignée de la colonie Peugeot, ils ne payaient qu’un loyer modique (même aucun loyer en 1947), mais devaient en échange travailler pour l’entretien de la bâtisse : travaux dans les douches, réparation de l’éclairage de la toiture, du système d’eau, des portes… Eux-mêmes vivaient dans l’aile Est, la plus moderne du château. Lorsqu’ils partirent une dernière fois en 1949, le château perdit réellement ses derniers habitants avant la ruine.

Pierre COURROUX