L’ancienne Jurade de Buzet et l’hôtel de ville

Les plus anciennes institutions municipales de Buzet remontent à 1273. Le 6 mai de cette année, par une charte que nous avons conservée, Bernard de Rovignan, seigneur de Galapian et co-seigneur de Buzet, avait octroyé des coutumes et privilèges aux habitants de Buzet. Ce document précieux est une sorte de constitution locale, réglant les relations entre le seigneur et ses sujets, mais aussi organisant la vie et la justice locale. Le seigneur était représenté par un bailli et des sergents, qui rendaient justice sur la place publique devant le château. Les intérêts des habitants étaient gérés par 4 ou 6 consuls, nommés annuellement à Pâques. Ils étaient notamment en charge de l’entretien des chemins publics, ponts et fontaines. Ces consuls formaient ce qu’on nomme une Jurade.

Arch. Dép. de Lot-et-Garonne, E sup. 2546 bis : 1re page des coutumes de Buzet de 1273

On ne connaît bien l’histoire de la Jurade de Buzet qu’à partir de la fin du XVIIe siècle, lorsque nous possédons ses registres. A cette date, les consuls n’étaient plus élus à Pâques, mais à une date variable en automne. Ils avaient à leur service un secrétaire et valet de ville, chargé d’effectuer les travaux de voirie.  Le seigneur nommait quatre des consuls, les deux autres étant élus par les habitants. Après avoir prêté serment de fidélité au seigneur dans l’église paroissiale Notre-Dame, ils se réunissaient à dates irrégulières (quand les affaires l’exigeaient, c’est-à-dire guère plus d’une fois par mois) dans la maison commune, ancêtre de notre mairie moderne. Celle-ci se trouvait à l’endroit où de nos jours encore se dressent des colonnes en sa mémoire, dans le parc du château. L’édifice, dont on ignore l’aspect, était collé à la porte dite du Rebellin ou du Midi, principale porte du village au sud du château, ce qui causa sa disparition accidentelle.

Un extrait du cadastre napoléonien. On y voit l’ancienne porte du Rebellin, où était la maison commune, qui fut remplacée temporairement par une annexe du vieux château au n°35 du cadastre.

En effet, lorsqu’Agésilan-Joseph de Grossolles entreprit de faire de grands travaux pour rendre plus agréable le Haut-Buzet et en transformer une partie en parc, il décida de raser les murailles de la ville, y compris la maison commune qui les jouxtait, persuadé qu’il faisait partie de sa terre seigneuriale, et qu’il n’avait donc aucun compte à rendre aux habitants de Buzet. Habitant le plus clair de son temps à Versailles, il est possible qu’il ait ignoré l’emplacement exact de la maison commune et qu’il ne soit même pas venu sur place pour superviser les démolitions. On imagine aisément les protestations indignées des habitants lorsqu’ils apprirent la destruction de leur maison commune. Voyant son erreur, Agésilan-Joseph s’excusa et édifia en souvenir de l’ancien bâtiment démoli des colonnes qui se trouvent toujours dans le parc du château. Il fournit aussi un nouvel hôtel de ville à la communauté non loin de là, dans une annexe du vieux château. On sait qu’il s’agissait d’une bâtisse médiévale dont les murs faisaient entre 7 et 9m de haut, et qui occupait une surface carrée de 6m de côté. Les murs touchant le vieux château menaçaient la ruine et nécessitaient des réparations urgentes, qui n’eurent jamais lieu, sans doute faute d’argent. Toutefois, la Jurade de Buzet n’avait pas la propriété du bâtiment qu’elle occupa uniquement à titre grâcieux.

Cela causa parfois quelques soucis : le principal eut lieu lorsque Buzet élit son tout premier conseil municipal à la Révolution Française. Le 28 février 1790, les nouveaux élus se ne purent entrer dans leur hôtel de ville afin d’y prêter serment de maintenir la constitution. La porte était fermée, le seigneur absent et aucun de ses serviteurs ne pouvait ouvrir. La cérémonie dut donc avoir lieu dans l’église voisine, au grand dam du nouveau conseil municipal. A ces problèmes d’accès se rajoutait un manque de place, et le conseil municipal devait souvent se réunir dans la maison presbytérale pour pouvoir faire tous ses membres. En 1792, la municipalité décida qu’il serait temps de construire sa propre maison commune et maison d’arrêts, cette fois-ci en contrebas, au lieu-dit Bourget. Ils continuèrent toutefois de se servir de leur hôtel de ville au Haut-Buzet, puisqu’ils logèrent à l’étage l’instituteur communal, qui faisait cours au rez-de-chaussée, dans l’ancienne salle dédiée aux séances. Lorsque l’école eut finalement lieu dans un autre endroit, ils y déposèrent leurs archives.

La municipalité n’en avait cependant pas fini avec les déboires concernant cet hôtel de ville du Haut-Buzet. Le bâtiment leur avait été cédé à l’amiable, sans confirmation devant le notaire. Lorsque le sire de Buzet céda tous ses biens à sa fille, elle récupéra donc de facto le bâtiment. Il fallut de nouveau un arrangement à l’amiable, conclu à l’instigation du préfet de Lot-et-Garonne, en 1812, pour que la commune garde la jouissance du bâtiment. Lorsque le comte de Beaumont succéda au dernier des Grossolles, en 1818, il respecta un temps cet accord, mais finit par se brouiller avec la municipalité dans les années 1830 pour diverses affaires. Le bâtiment de l’hôtel de ville au Haut-Buzet fut une nouvelle fois abandonné en 1833, et il y eut un procès entre les deux parties, chacune en réclamant la propriété. Le comte de Beaumont souhaitait la détruire pour laisser la place à un parc sans avoir à rendre de comptes. Après 7 ans de disputes, il accepta finalement d’indemniser le conseil municipal à hauteur de 675 francs pour la destruction de leur hôtel de ville et l’achat de tout ce que la mairie possédait encore au Haut-Buzet, y compris les chemins communaux et rues. Ce fut l’une des dernières étapes de l’abandon du village et de sa transformation en parc. Seules les colonnes dressées dans les années 1780 rappelèrent encore l’emplacement de l’ancienne maison commune.

Pierre COURROUX